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jeudi 30 octobre 2014

Les échecs dans la littérature

Dès l'arrivée du jeu en Occident, de nombreuses légendes  ont circulé, élevant le "roi des jeux" au rang de mythe : Achille, Ulysse, le roi Salomon, Alexandre le Grand, le roi Evilmodorach de Babylone, le roi Arthur. Dans l'imaginaire médiéval, les échecs s'imposent comme le "jeu des rois", avant d'être la distraction favorite de Philippe II d'Espagne, Charles V ou Napoléon.  
Une de ces légendes voulait que les prestigieuses pièces d'échecs conservées au trésor de Saint-Denis aient été offertes par le calife de Bagdad, Haroun Al-Rachid, au demeurant grand amateur d'échecs, à Charlemagne pour son couronnement. Mais l'Empereur, qui régnait autour de 800, n'a pas connu ce jeu, introduit en Occident deux siècles plus tard. En réalité, ces pièces ont été taillées en Italie méridionale, vraisemblablement à Salerne, à la fin du XIe siècle. Les échecs de Charlemagne comptent parmi les plus beaux objets en ivoire du Moyen Âge.  Associer ainsi le jeu au souvenir du grand empereur, c'est dire le prestige dont jouissent les échecs, à la fois roi des jeux et jeu des rois. C'est dire aussi leur valeur symbolique que les artistes sauront s'approprier. 
Dès le Moyen Âge, les échecs entrent ainsi en littérature. Les romans de chevalerie mettent en scène de nombreuses parties d'échecs. Mais ce sont les auteurs modernes, comme Carroll, Zweig, Nabokov ou Perec, qui offrent aux échecs leurs véritables "lettres de noblesse". 
source: la BNF   

De l'autre côté du miroir

De l'autre côté du miroir (titre original : Through the Looking-Glass and What Alice Found There) est un roman écrit par Lewis Carroll en 1871, qui fait suite aux Aventures d'Alice au pays des merveilles.
En France, ce roman a été publié pour la première fois en 1931 sous le titre La Traversée du miroir. Le titre sera changé en De l'autre côté du miroir lors de la réédition de 1938.
Alice, qui s'ennuie, s'endort dans un fauteuil et rêve qu'elle passe de l'autre côté du miroir du salon. Le monde du miroir est à la fois la campagne anglaise, un échiquier, et le monde à l'envers, où il faut courir très vite pour rester sur place. Alice y croise des pièces d'échecs (reine, cavalier) et des personnages de la culture enfantine de l'époque victorienne.
On retrouve dans ce roman le mélange de poésie, d'humour et de non-sens qui fait le charme de Lewis Carroll. Il vaut mieux connaître les règles de base du jeu d'échecs pour apprécier toutes les subtilités du roman.

Le passage du miroir

"Ce salon-ci n'est pas tenu aussi bien que l'autre", se dit Alice, en remarquant que plusieurs pièces du jeu d'échecs étaient tombées parmi les cendres du foyer ; mais, un instant plus tard, c'est avec un bref "Oh !" de surprise qu'elle se mettait à quatre pattes pour les mieux observer. Les pièces du jeu d'échecs déambulaient deux par deux !
"Voici le Roi Rouge et la Reine Rouge, dit (à voix très basse, de peur de les effrayer) Alice, et voici le Roi Blanc et la Reine Blanche assis sur le tranchant de la pelle à charbon... puis voila deux Tours marchant bras dessus, bras dessous... Je ne crois pas qu'ils puissent m'entendre, poursuivit-elle en baissant un peu plus la tête, et je suis à peu près certaine qu'ils ne peuvent me voir. J'ai l'impression d'être invisible..."
À cet instant, s'élevant de la table qui se trouvait derrière Alice, on entendit un glapissement qui fit se retourner la fillette, juste à temps pour voir l'un des Pions Blancs tomber à la renverse et se mettre à gigoter : elle l'observa avec beaucoup de curiosité en se demandant ce qu'il allait se passer ensuite.
"C'est la voix de mon enfant ! s'écria la Reine Blanche en s'élançant en avant et en bousculant au passage le Roi avec une violence telle qu'elle le fit choir au beau milieu des cendres. Ma chère petite Lily ! Mon impériale mignonne !" Et elle se mit à escalader avec frénésie la paroi du garde-feu.
"Impériale andouille !" grommela le Roi en frottant son nez tout meurtri (Il avait le droit d'être quelque peu fâché contre la Reine, car il était couvert de cendres de la tête aux pieds).
Alice était très désireuse de se rendre utile et, comme la pauvre petite Lily criait à vous faire craindre de la voir tomber en convulsions, elle empoigna bien vite la Reine pour la poser sur la table à côté de sa bruyante fillette.
La Reine s'affala sur son séant ; elle suffoquait ; le rapide voyage qu'elle venait d'effectuer à travers les airs lui avait coupé le souffle et, durant une minute ou deux, elle ne put faire rien d'autre que serrer en silence dans ses bras la petite Lily. Dès qu'elle eut à peu près recouvré l'usage de ses poumons, elle cria au Roi Blanc, qui était resté assis, maussade, parmi les cendres : "Attention au volcan !"
"Quel volcan ?" s'enquit le Roi en regardant, d'un air inquiet, le feu, comme s'il jugeait que ce fût l'endroit où I'on avait le plus de chances de découvrir un cratère en éruption.
"M'a... fait... sauter en I'air, hoqueta la Reine, encore quelque peu haletante. Attention de monter... de la manière normale... de ne pas vous faire... projeter en I'air !"
Alice regarda le Roi Blanc grimper lentement de barreau en barreau, puis elle finit par dire : "Mais, à ce train-là, vous allez mettre des heures et des heures pour atteindre la table ! Ne croyez-vous pas qu'il vaudrait mieux que je vous aide ?" Le Roi ne prêta pas la moindre attention à sa question : il était évident qu'il ne pouvait ni voir ni entendre la petite fille.
Alice le prit très délicatement entre le pouce et I'index et, afin de ne pas lui couper le souffle, le souleva plus lentement qu'elle n'avait soulevé la Reine ; mais avant de le poser sur la table, elle crut bon de l'épousseter un peu, car il était tout couvert de cendre.
Elle raconta par la suite que, de sa vie, elle n'avait contemplé figure pareille à celle que fit le Roi lorsqu'il se vit tenu en l'air et épousseté par une invisible main : il était bien trop stupéfait pour crier, mais ses yeux et sa bouche s'agrandirent et s'arrondirent de la manière la plus cocasse. Alice, à ce spectacle, fut prise d'un fou rire tel que sa main tremblait et qu'elle faillit laisser choir le monarque sur le plancher.
extrait du livre de Lewis Carroll (1832 1898): De l'autre côté du miroir

L'échiquier

Pendant quelques minutes Alice demeura sans mot dire, à promener dans toutes les directions son regard sur la contrée qui s'étendait devant elle et qui était vraiment une fort étrange contrée. Un grand nombre de petits ruisseaux la parcouraient d'un bout à l'autre, et le terrain compris entre lesdits ruisseaux était divisé en carrés par un nombre impressionnant de petites haies vertes perpendiculaires aux ruisseaux.
"Je vous assure que l'on dirait les cases d'un vaste échiquier ! finit par s'écrier Alice. Il devrait y avoir des pièces en train de se déplacer quelque part là-dessus – et effectivement il y en a ! ajouta-t-elle, ravie, tandis que son cœur se mettait à battre plus vite. C'est une grande partie d'échecs qui est en train de se jouer – à l'échelle du monde entier – si cela est vraiment le monde, voyez-vous bien.
Oh ! que c'est amusant ! Comme je voudrais être une de ces pièces-là ! Cela me serait égal d'être un simple Pion, pourvu que je pusse prendre part au jeu... mais, évidemment, j'aimerais mieux encore être une Reine."
En prononçant ces mots elle lança un timide regard à la vraie Reine, mais sa compagne se contenta de sourire aimablement et lui dit : "C'est un vœu facile à satisfaire. Vous pouvez être, si vous le désirez, le Pion de la Reine Blanche, car Lily est trop jeune pour jouer. Pour commencer, vous prendrez place dans la seconde case ; et quand vous arriverez à la huitième case, vous serez Reine..." À ce moment précis, on ne sait trop pourquoi, elles se mirent à courir.
Lewis Carroll, De l'autre côté du miroir, 1871
(traduction de Henri Parisot, Aubier-Flammarion, 1971)
source la BNF